La lutte des syndicats et des communautés indigènes contre le travail forcé en Amazonie péruvienne

Etude de cas préparée par Sanna Saarto, Programme pour combattre le travail forcé de l’OIT au Pérou, pour le guide sur la convention no. 169 de l’OIT « Les droits des peuples autochtones et tribaux dans la pratique ».

Depuis des siècles, les peuples autochtones sont les plus touchés par les pratiques de travail forcé en Amérique latine. Elle se place au deuxième rang des régions du monde qui comptent le plus de victimes du travail forcé. D’après les estimations de l’OIT, leur nombre s’élèverait à 1,2 million de personnes. Les études approfondies sur le terrain dans les zones rurales boliviennes, paraguayennes et péruviennes ont confirmé le fait que les peuples autochtones sont vulnérables, en particulier, à une forme du travail forcé appelée servitude pour dette. Les travailleurs autochtones sont recrutés par des intermédiaires qui, par le biais d’avances sur salaire et autres manipulations, les plongent artificiellement dans des dettes qu’ils ne sont pas en mesure de rembourser. Comme de longues heures de travail ne suffisent pas à rembourser ces dettes, les travailleurs se trouvent prisonniers d’une spirale de dette et doivent étaler le remboursement sur une période toujours plus longue. Ce système maintient ces travailleurs dans la pauvreté voire l’extrême pauvreté et les prive de tout développement personnel et social.

Au Pérou, une étude menée en 2004 par l’OIT et le ministère péruvien du travail et de la promotion de l’emploi a confirmé l’existence de pratiques de travail forcé dans le cadre de l’exploitation forestière illégale dans la région tropicale d’Amazonie. L’étude estime à 33 000 le nombre de victimes, dont la plupart appartiennent à des peuples autochtones.

Cette étude a mis en évidence deux formes principales du travail forcé dans le cadre de l’exploitation forestière en Amazonie:

  • La forme la plus répandue est d’obliger des communautés autochtones, par contrat, à fournir du bois coupé sur leur territoire. En échange, ces communautés reçoivent de l’argent, de la nourriture et des marchandises qui leur sont fournies en avance à condition que les membres de la communauté, qui connaissent la région, livrent bien le bois.
  • La deuxième forme de travail forcé apparaît lorsque des travailleurs, autochtones ou non, sont embauchés pour travailler sur des chantiers forestiers.

Ces deux formes ont recours à la manipulation pour enfermer les travailleurs dans une spirale de dette et de servitude, qui est souvent transmise à la génération suivante.

Ces pratiques de travail forcé sont liées au problème plus vaste de la discrimination à l’encontre des peuples autochtones sur le marché du travail. Dans le monde du travail, ils se trouvent fréquemment au bas de la hiérarchie, occupent des emplois peu rémunérés, irréguliers et non protégés et sont victimes de discrimination en termes de rémunération.

En 2006 et 2007, le bureau péruvien de l’OIT et l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB) ont signé deux accords visant spécifiquement à lutter contre le travail forcé. Les deux organisations se sont engagées à mener une série d’activités communes concernant la sensibilisation, la diffusion d’informations et la syndicalisation des travailleurs de l’industrie forestière.

Cela a débouché sur le lancement, en août 2008, d’un projet pilote de syndicat de travailleurs financé par la Fédération néerlandaise des syndicats de travailleurs (FNV), dont l’objectif est de lutter contre le travail forcé dans l’industrie forestière en Bolivie et au Pérou. Ce projet est mis en oeuvre dans la région d’Ucayali par la Fédération nationale des travailleurs du bois et des industries connexes (FENATIMAP). Cette organisation réunit des travailleurs appartenant à plusieurs syndicats et associations en lien avec l’industrie forestière, basés principalement dans l’Amazonie péruvienne. Pendant de nombreuses années, la FENATIMAP a agi en coordination avec les représentants des communautés autochtones et a noué de nouveaux liens avec des organisations indigènes à l’occasion de la mise en place de ce projet.

L’objectif du projet est de favoriser la réduction du nombre de personnes victimes du travail forcé à l’aide d’un ensemble d’activités de sensibilisation et de renforcement des capacités. Ces activités comprennent la formation de militants syndicaux à des questions telles que le travail forcé, les droits fondamentaux des travailleurs et des peuples autochtones, les recours légaux en cas de violation de ces droits et les moyens permettant de lancer des actions collectives par l’intermédiaire des syndicats. Les dirigeants autochtones participent à la formation puis organisent des formations et des activités de sensibilisation au sein de leurs propres communautés et organisations, avec l’aide des militants de la FENATIMAP.

Depuis la mise en oeuvre coordonnée de ce projet, les organisations autochtones officialisent leurs liens avec la FENATIMAP pour permettre la mise en place d’autres actions communes de protection des droits fondamentaux des travailleurs et des peuples autochtones. Les activités de sensibilisation sont organisées à divers endroits de la région. Le réseau de communautés et d’organisations autochtones impliquées dans ces actions ne cesse de s’étendre. Les liens qui ont été noués jouent également un rôle précieux dans le recueil d’informations concernant les cas de travail forcé et d’exploitation forestière illégale dans la région. En outre, ce projet a diffusé des informations concernant le travail forcé et les droits des peuples autochtones dans les médias locaux, attirant ainsi l’attention des autorités et du grand public sur ces questions.

Ce projet montre bien que la coordination entre les organisations autochtones et les syndicats de travailleurs permet aux peuples autochtones d’accéder plus facilement aux recours légaux, les fait bénéficier d’un réseau de soutien plus vaste et leur ouvre de nouvelles possibilités de dialogue au sein d’institutions dont ils ne faisaient pas partie auparavant. Les syndicats de travailleurs comprennent désormais mieux la situation des peuples autochtones et les problèmes auxquels ils sont confrontés. Par conséquent, ils peuvent faire part des préoccupations de ces peuples à diverses instances, notamment aux mécanismes de dialogue social dont ils font partie.

Étude de cas réalisée par Sanna Saarto, Programme de l’OIT de lutte contre le travail forcé, Pérou.

Ressources supplémentaires

Cette étude de cas fait partie du guide suivant:

Pour en savoir plus sur la situation au Pérou: