Pakistan: combattre la servitude pour dettes et promouvoir son élimination

Le présent projet s'inscrit dans le prolongement des activités de coopération technique menées par l'OIT au Pakistan depuis 2001.

Le présent projet s’inscrit dans le cadre des activités de coopération technique menées par l’OIT au Pakistan depuis 2001 et, notamment, dans le prolongement des deux phases d’un projet (PEBLISA) financé par les Pays-Bas visant à prévenir et à éliminer la servitude pour dettes en Asie du Sud. Sa stratégie comporte trois axes prioritaires: 1) le renforcement du cadre juridique et réglementaire relatif à la servitude pour dettes; 2) le renforcement des capacités des gouvernements, des organisations de travailleurs et d’employeurs, des autres partenaires, et des organes chargés de veiller à l’application des législations, afin qu’ils soient en mesure de lutter contre ce système avec une plus grande efficacité; 3) l’expérimentation sur le terrain de modèles tripartites pour la prévention de la servitude pour dettes et la réinsertion des travailleurs concernés, en particulier dans le cadre de projets pilotes qui seront menés au Penjab dans le secteur de la briqueterie. Les trois objectifs visés sont la mise en place du cadre réglementaire nécessaire, une application plus rigoureuse de la législation, et la fourniture de services sociaux. Les diverses composantes du projet seront intégrées dans les activités des partenaires sociaux et dans les principaux programmes de lutte contre la pauvreté mis en œuvre par le gouvernement, les donateurs et la société civile pour venir en aide aux plus démunis.

La mise en œuvre du projet sera dirigée et coordonnée par le Comité national pour l’abolition de la servitude pour dettes, organe pluripartite permanent officiellement institué dans le cadre de la politique et du plan d’action nationaux pour l’abolition de la servitude pour dettes. Pour catalyser la lutte contre la servitude pour dettes, un programme de sensibilisation et de renforcement des capacités destiné aux mandants de l’OIT, aux associations de la société civile et à des partenaires non traditionnels comme les chefs religieux sera lancé au niveau national. Conformément aux directives de la Cour suprême, le gouvernement recevra une assistance pour la réforme du cadre juridique.

Le contexte

Jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, la question du travail forcé au Pakistan était extrêmement sensible sur le plan politique et restait de ce fait plongée dans une certaine obscurité. Alors que le Pakistan avait ratifié les conventions nos 29 et 109 de l’OIT dès 1960, et qu’il disposait d’une législation nationale appropriée (loi de 1992 sur l’abolition du système de la servitude pour dettes, loi de 1933 sur la fourniture de main-d’œuvre enfantine, par exemple) et des structures nationales nécessaires (notamment la politique et le plan d’action nationaux pour l’élimination de la servitude pour dettes), les divers acteurs nationaux concernés niaient plus ou moins le phénomène, faisaient preuve d’une certaine complaisance ou se cantonnaient dans l’inaction. Cette passivité s’expliquait en grande partie par une méconnaissance des mécanismes de la servitude, par l’absence des capacités institutionnelles nécessaires pour prendre les mesures appropriées, et par l’aval général dont bénéficiait un système traditionnel profondément ancré dans le tissu social et culturel d’une société fortement compartimentée. La servitude pour dettes est effectivement un phénomène complexe qui est étroitement relié à d’autres problèmes: la pauvreté (que ce soit en termes de niveau de vie ou de revenu), l’exclusion sociale (résultat de la privation des droits politiques et sociaux), le chômage, omniprésent dans le pays, l’absence d’une véritable protection sociale, et le profond enracinement de certaines pratiques culturelles.

C’est dans ce contexte qu’en 2002, l’OIT, en étroite collaboration avec le gouvernement et des acteurs nationaux de premier plan, a mené une première intervention afin de venir en aide à quelque 700 familles (des travailleurs agricoles pour la plupart) qui avaient été soustraites à la servitude pour dettes dans les zones rurales et périurbaines de la province de Sindh. Le but du projet était de mettre sur pied les modèles socio-économiques intégrés nécessaires pour assurer immédiatement une aide à ces familles et, parallèlement, de promouvoir la mise en place de dispositifs d’aide au plan national. La deuxième phase du projet (financé au titre du mécanisme d’allocation de ressources à la coopération technique des Pays-Bas) a commencé en 2003, avec une stratégie essentiellement axée sur le développement institutionnel, mené de front avec les mesures d’aide directe. Il s’agissait également, au cours de cette seconde phase, de chercher à connaître précisément l’incidence du travail forcé au Pakistan, afin d’accroître l’efficacité des programmes et des plans d’action nationaux.

Au Pakistan, le travail forcé, surtout sous la forme de servitude pour dettes, touche surtout les travailleurs agricoles de la province de Sindh et de nombreuses régions du Penjab. On recense également de nombreux cas dans d’autres secteurs – briqueterie, service domestique (les femmes et les enfants étant en l’occurrence les plus touchés), tissage de tapis, et secteur minier. Dans tous ces secteurs, hormis le secteur minier, la main-d’œuvre féminine est abondante. La servitude pour dettes touche essentiellement les individus provenant de groupes marginalisés, notamment les minorités ethniques et les migrants, qui sont en outre en butte à des pratiques discriminatoires et privés de leurs droits politiques.

Il existe un schéma type de la servitude pour dettes: un employé – la plupart du temps, il s’agit d’un adulte de sexe masculin – demande à son employeur (ou à un agent de recrutement ou à un propriétaire) un prêt ou une avance sur salaire et se voit ensuite condamné à travailler, pour un salaire fortement réduit, jusqu’au remboursement total de sa dette. Derrière cette situation type se profilent les cas de figure les plus divers, depuis les cas «bénins» d’un asservissement de courte durée à de graves, et durables, violations des droits de l’homme – femmes contraintes de travailler pour un salaire dérisoire, voire sans la moindre rémunération, pour rembourser la dette contractée par leur mari ou tout autre homme de la famille, travail d’enfants utilisé comme monnaie d’échange pour le remboursement de la dette des parents. A quoi s’ajoute le fait qu’une dette peut également se transmettre d’une génération à l’autre, que, faute de contrat écrit, le travailleur est exposé à toutes les formes d’exploitation, et que l’exclusion sociale et politique qui frappe ce type de travailleurs accroît encore la complexité du problème.

Objectifs du projet

Bénéficiaires

Les bénéficiaires de ce projet sont l’ensemble des victimes (hommes, femmes et enfants) actuelles ou potentielles du système de la servitude pour dettes. On peut les classer en trois sous-catégories:

  • Les personnes actuellement assujetties à ce système (des hommes dans la plupart des cas) et les membres de leurs familles (femmes et enfants) et, tout particulièrement, celles qui sont piégées durablement dans l’engrenage de la dette, l’objectif immédiat étant en l’occurrence d’identifier, puis de libérer ces personnes.
  • Les hommes et les femmes qui risquent d’être asservis, ou qui travaillent déjà pour rembourser une dette, mais pour une courte durée.
  • Les familles qui ont pu être soustraites à la servitude et qui ont besoin d’une aide économique et sociale pour prendre un nouveau départ.

Stratégie

Diverses activités stratégiques sont prévues. En amont, il s’agira de procéder à une révision des législations et des politiques en vigueur, afin de permettre la mise en place à l’échelon national d’un cadre favorable; de renforcer les capacités institutionnelles indispensables pour mener une action efficace à tous les niveaux (district, province, pays); d’effectuer les recherches et les analyses nécessaires pour enrichir les connaissances sur ce phénomène; de diffuser ces connaissances dans le cadre d’un vaste travail de sensibilisation destiné à mobiliser les pouvoirs publics. En aval, il s’agira de s’appuyer sur les programmes et plans nationaux pour mettre directement en contact les services d’aide sociale avec le groupe de travailleurs visés par le projet; de nouer des partenariats avec des institutions publiques ou des groupements de la société civile (en particulier les employeurs et les travailleurs) et de les aider à se doter des moyens nécessaires pour lutter contre la servitude pour dettes à leur niveau. Par-dessus tout, il s’agira d’institutionnaliser la lutte contre la servitude et d’assurer la durabilité du projet en favorisant une véritable appropriation nationale.

La mise en œuvre du projet sera assurée essentiellement par le Comité national pour l’abolition de la servitude pour dettes – organe créé dans le cadre de la politique nationale visant l’élimination de ce système et assurant notamment l’exécution de l’ensemble des initiatives prises par le gouvernement pakistanais dans ce domaine. Le comité fournira un cadre directeur général, assurera la coordination du projet avec d’autres programmes nationaux apparentés, et veillera à assurer une homogénéité d’action entre les provinces et les districts.

Quatre comités de coordination tripartites seront constitués dans les provinces pour assurer une meilleure coordination stratégique entre départements. Les comités de vigilance pluripartites qui ont été mis sur pied dans le cadre de la loi sur l’abolition du système de la servitude pour dettes dans les districts les plus touchés permettront aux diverses interventions d’être mieux ancrées dans la réalité locale.

L’un des objectifs de la stratégie est de s’appuyer sur les mécanismes institutionnels en place pour assurer la prise en compte de la question de la servitude pour dettes dans les plans de développement nationaux, régionaux ou locaux axés sur la réduction de la pauvreté. Ces plans doivent notamment viser à permettre aux éléments les plus vulnérables de la société pakistanaise d’accéder aux services éducatifs, sanitaires et de microfinance, et promouvoir les activités génératrices de revenu et la création d’emplois.

Il faudra également tirer parti du dynamisme institutionnel des organisations d’employeurs et de travailleurs et de l’influence qu’elles exercent à l’échelon local. La force des organisations de travailleurs réside dans leur capacité à organiser les groupes concernés de manière à leur permettre d’engager un dialogue avec les employeurs pour améliorer leurs conditions de travail, tout en recherchant avec les employeurs les moyens d’accroître la productivité nécessaire pour maintenir la compétitivité de l’entreprise. La nouvelle initiative prise dans le cadre du Pacte mondial offrira aux entreprises une possibilité de participer au projet de manière constructive en promouvant les principes et droits fondamentaux au travail. Il s’agira en outre d’accroître l’influence des partenaires sociaux dans l’élaboration des politiques et programmes nationaux et locaux, de les aider à proposer à leurs membres des services de meilleure qualité, à l’aide de vastes programmes de renforcement des capacités et de consolidation des institutions.

Il conviendra également de porter la plus grande attention à la spécificité de la situation des femmes, qui sont gravement défavorisées à bien des égards, puisqu’à l’exploitation par le travail s’ajoute fréquemment la violation des droits fondamentaux (les femmes et les enfants, par exemple, servent de caution lorsque l’homme doit voyager, l’exploitation sexuelle est monnaie courante et, ce qui constitue de loin l’aspect le plus inquiétant, femmes et enfants restent prisonniers de l’engrenage de la dette même après le décès de l’homme qui a effectué l’emprunt).

La promotion de l’égalité entre les sexes sera assurée grâce à une prise en compte systématique de cette problématique dans l’ensemble des volets du projet, depuis la définition des stratégies jusqu’au travail de terrain. Un ensemble d’interventions ciblées, menées expressément en faveur des femmes (selon le modèle de discrimination positive mis en œuvre lors de la deuxième phase), et visant notamment à redéfinir les relations de pouvoir entre hommes et femmes, permettront de modifier la condition et le statut de ces dernières dans le système de la servitude pour dettes. Stratégiquement, l’objectif sera d’essayer de gagner les hommes eux-mêmes à la cause de l’égalité entre sexes et du respect des droits des travailleuses. Les responsables du projet travailleront en étroite collaboration avec un autre grand projet concernant les problèmes d’emploi et les conditions de travail des femmes actuellement mis en œuvre au Pakistan.