Renforcer la réponse au VIH/sida: vers une nouvelle norme internationale du travail - Les mandants de l’OIT renforcent leur suprématie dans la riposte au VIH/sida

En juin 2010, près d’une décennie après le lancement du Recueil des directives pratiques du BIT sur le VIH/sida, l’OIT s’apprête à franchir une étape majeure dans la riposte globale au VIH/sida avec le vote de la Conférence internationale du Travail pour l’adoption d’une norme internationale du travail sur le VIH/sida et le monde du travail. Une fois adoptée par les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs des Etats Membres de l’OIT, cette norme sera le premier instrument international relatif aux droits de l’homme entièrement consacré au VIH/sida, applicable aux travailleurs de tous les secteurs, formel et informel, aux chômeurs, aux travailleurs licenciés ou qui suivent une formation professionnelle.

Les gouvernements, les organisations d’employeurs et de travailleurs des 183 Etats Membres de l’Organisation internationale du Travail (OIT) œuvrent au développement du premier instrument international des droits de l’homme dédié au VIH/sida. Le processus a débuté en 2007 par la décision du Conseil d’administration du BIT d’inscrire l’élaboration d’une norme relative au VIH/sida à l’ordre du jour de la Conférence internationale du Travail (CIT). L’un des principaux facteurs qui ont motivé l’élaboration d’une nouvelle norme internationale du travail est la stigmatisation et la discrimination qui se sont traduites par la perte de nombreux emplois. Décision fut donc prise d’adopter une norme afin d’accroître l’attention portée à ce sujet aux niveaux national et international, de promouvoir une unité d’action parmi les acteurs clés du VIH/sida et d’augmenter l’impact du Recueil des directives pratiques du BIT sur le VIH/sida et le monde du travail, élaboré par un groupe tripartite d’experts et adopté par le Conseil d’administration du BIT en 2001.

Depuis le début de l’épidémie, près de 60 millions de personnes ont été infectées par le virus du sida et 25 millions d’entre elles sont mortes de causes liées à ce syndrome. Aujourd’hui, plus de 33 millions de personnes dans le monde vivent avec le VIH. Des progrès significatifs ont été accomplis pour élargir l’accès au traitement, si bien qu’à la fin de 2008 plus de

4,7 millions de personnes avaient pu y accéder. S’il n’existe pas de remède au virus du sida, le traitement précoce et la prise en continu d’un traitement antirétroviral peut stopper sa progression, permettant aux personnes vivant avec le VIH de continuer à travailler et à mener une vie productive indéfiniment. Néanmoins, les efforts pour prévenir et enrayer la diffusion de la pandémie doivent être encore renforcés et étendus. Le nombre de nouvelles contaminations au VIH continue de dépasser le nombre de personnes sous traitement – pour deux nouvelles personnes qui entament un traitement, cinq autres contractent le virus.

Plus de 90 pour cent des personnes vivant avec le VIH sont de jeunes adultes en âge de produire et de procréer. S’ils perdent leurs moyens de subsistance en raison de leur contamination par le VIH, ils risquent aussi de perdre leur accès au traitement, ainsi que leur capacité à soutenir leur famille. Les entreprises elles aussi en subissent l’impact, souffrant de la perte de travailleurs qualifiés et d’une baisse de productivité. Le lieu de travail est le meilleur point d’entrée pour atteindre la population en âge de travailler et pour fournir une information sur la prévention du VIH, le traitement, les soins et le soutien.

Les politiques et les stratégies de prévention et de soins doivent bénéficier à tous les travailleurs, quel que soit le secteur où ils travaillent, y compris dans le secteur informel et l’économie rurale - Juan Somavia, Directeur général du BIT, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, 1er décembre 2009

Un solide cadre de référence

Elaboré grâce à un processus extensif de consultation tripartite, le Recueil des directives pratiques du BIT sur le VIH/sida et le monde du travail (2001) offre aux mandants de l’OIT un cadre pour forger une solide réponse nationale au VIH; il a été traduit en 57 langues à ce jour. Le recueil énonce dix principes clés sur lesquels fonder le développement de politiques et de programmes nationaux détaillés, relatifs au VIH/sida sur le lieu de travail, axés sur les droits. Les principes du recueil ont été appliqués avec succès dans de nombreux pays de par le monde.

En quoi une nouvelle norme est-elle nécessaire?

En s’appuyant sur les solides bases fournies par le Recueil des directives pratiques du BIT, le nouvel instrument va favoriser une action coordonnée, plus uniforme vis-à-vis du VIH/sida, afin de remplacer le patchwork de mesures variées prises au niveau des pays. De même, le recueil est un outil volontaire dont l’application est facultative. Il ne crée aucune obligation pour les mandants de faire respecter ses principes. A l’inverse, une nouvelle norme internationale du travail va renforcer l’impact du recueil, donnant davantage de poids et de visibilité à ses principes. De plus, après l’adoption de l’instrument, chaque Etat Membre devra aux termes de la Constitution de l’OIT déterminer quelles mesures il doit prendre pour mettre en œuvre ce nouvel instrument, y compris par l’adoption de nouvelles lois et politiques.

La norme va favoriser le développement et l’adoption de cadres politiques relatifs au VIH sur le lieu de travail dans les pays qui n’en ont pas. Elle va promouvoir la création de synergies au niveau national et faciliter la répartition des rôles et des responsabilités entre les acteurs publics, privés et la société civile. En tant que norme internationale du travail, cet instrument pourra aussi s’adapter aux circonstances et besoins spécifiques de chaque Etat Membre.

Relever les défis grâce à un processus par étapes

La norme a été élaborée à travers un processus de double discussion tel que prévu par la Constitution de l’OIT. Le Rapport IV (1) sur le VIH/sida et le monde du travail a été publié en 2008. Il offrait une vue d’ensemble des réponses déployées face au sida dans les différents Etats Membres de l’OIT et montrait que 169 Etats Membres sur 183 prévoyaient des mesures antisida.

Lors de la 98e session de la Conférence internationale du Travail en juin 2009, le rapport IV (1) a jeté les bases de la première discussion sur la future norme; elle s’est déroulée au sein de la Commission sur le VIH/sida et le monde du travail qui regroupe 148 membres (79 représentant les gouvernements, 27 représentant les employeurs et 42 les travailleurs). Les débats au sein de la commission furent animés et le premier projet de texte a fait l’objet de 300 amendements. Un large consensus s’est finalement dégagé sur les dispositions substantielles du projet d’instrument qui aborde une série de questions fondamentales concernant les droits de l’homme.

Le projet d’instrument envisage un large spectre d’application, couvrant tous les travailleurs quels que soient leur emploi et leur profession, les personnes suivant une formation professionnelle, les bénévoles, les demandeurs d’emploi et les postulants, les travailleurs licenciés de tous les secteurs d’activité économique, y compris les secteurs public et privé, les économies formelle ou informelle, ainsi que toutes les personnes des forces armées ou personnels en uniforme.

Principes du Recueil des directives pratiques du BIT sur le VIH/sida et le monde du travail

  • Reconnaissance du VIH/sida comme question liée au lieu de travail
  • Pas de discrimination sur la base du statut sérologique
  • Egalité hommes-femmes
  • Milieu de travail sain
  • Dialogue social (entre employeurs, travailleurs et gouvernement), avec l’intégration des personnes vivant avec le VIH/sida
  • Pas de dépistage dans le but d’exclure de l’emploi
  • Principe de confidentialité
  • Maintien de la relation de travail et interdiction de résiliation pour cause de statut sérologique
  • Importance de la prévention
  • Besoin de traitement, soins et soutien, y compris l’accès ou la référence à des services.

Le texte souligne l’importance du principe de non-discrimination, disposant qu’un postulant à un emploi ne doit pas se voir refuser l’accès à cet emploi sur la base de son statut VIH, qu’il soit réel ou perçu. De la même manière, il établit que le statut au regard du VIH n’est pas une justification valable pour mettre fin à un contrat de travail. Il sauvegarde aussi le droit du travailleur au respect de sa vie privée. Le principe de la continuité de l’emploi est posé, qui veut que les travailleurs qui vivent avec le VIH/sida soient autorisés à poursuivre leur travail – avec des aménagements raisonnables si nécessaires – aussi longtemps qu’ils se sentent capables de le faire.

La prévention est un thème central du projet de texte; elle requiert la conception et la mise en place de programmes complets d’éducation au travail et de campagnes faisant la promotion de la consultation et du dépistage volontaires. En effet, connaître son statut sérologique confère souvent davantage de pouvoir aux travailleurs, leur donnant un accès précoce au traitement et améliorant ainsi considérablement leurs perspectives de rester indéfiniment en bonne santé et apte, au travail.

L’instrument est axé sur les mesures permettant d’atténuer l’impact de l’épidémie et d’améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec le sida et sur la garantie de mécanismes par lesquels elles ont un accès permanent au traitement. A cette fin, l’instrument plaide pour un renforcement des services publics de santé. Parmi les exemples de mesures de soutien aux personnes vivant avec le sida figurent notamment celles qui garantissent à ces travailleurs et à leurs ayants droit l’égalité d’accès aux soins de santé et aux prestations de sécurité sociale, ainsi que le développement de possibilités génératrices de revenus pour les personnes porteuses du VIH ou malades du sida.

VIH/sida et états Membres de l’OIT

  • Sur les 183 Etats Membres de l’OIT, 169 ont adopté une stratégie nationale de lutte contre le VIH/sida
  • Plus de 70 Etats Membres de l’OIT ont déjà ou sont en train d’adopter une législation nationale relative au VIH/sida
  • Au total, 30 pays ont adopté ou sont en cours d’adoption de règles spécifiques relatives au VIH sur le lieu de travail
  • Les pays abordent le VIH/sida de manières différentes, certains traitent le VIH/sida sous l’angle de l’égalité des chances ou d’une loi de santé publique, alors que d’autres ont également intégré le VIH/sida dans la législation générale sur le travail.

Le projet d’instrument contient également des dispositions dédiées à des groupes spécifiques, notamment les enfants et les jeunes, les travailleurs migrants et les personnes en formation professionnelle.

Les Etats Membres pourront donner effet à la recommandation à travers une série de mesures, y compris l’adoption de lois et de réglementations nationales, de conventions collectives, de politiques et de programmes nationaux et sur les lieux de travail, et de stratégies sectorielles, avec une attention particulière aux secteurs dans lesquels les travailleurs sont les plus menacés par le VIH.

La seconde discussion de la commission tripartite se déroulera pendant la 99e session de la CIT en juin 2010, au cours de laquelle la nouvelle norme est censée être adoptée par un vote à la majorité qualifiée des deux tiers de la CIT.

Près d’une décennie après le lancement du Recueil des directives pratiques du BIT sur le VIH/sida et le monde du travail à la session spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le VIH/sida (SSAGNU, 2001), une nouvelle norme internationale du travail sur le VIH/sida et le monde du travail va constituer un jalon fondamental pour la riposte mondiale au VIH/sida.