Reportage depuis les Philippines - La récolte du futur: une agriculture sans travail des enfants

L’agriculture emploie 70 pour cent des enfants qui travaillent dans le monde. Garder le bétail, faire les moissons, manœuvrer des machines dangereuses ou vaporiser des pesticides: plus de 132 millions d’enfants âgés de 5 à 14 ans participent à la production de la nourriture que nous mangeons ou des vêtements que nous portons. Reportage en provenance des Philippines, par Minette Rimando, du Bureau de l’OIT à Manille.

Article | 11 juin 2007

MANILLE, Philippines (BIT en ligne) – Rudy est le cinquième d’une fratrie de sept enfants. A 15 ans, il a quitté le lycée pour aider son père à la ferme. Ses deux frères aînés venaient tout juste de mourir dans un tragique accident.

Rudy pensait qu’il était de son devoir de pourvoir aux besoins de ses cadets. «Je craignais que mes plus jeunes frère et sœur ne doivent quitter l’école pour travailler parce que nous n’avions pas assez d’argent», déclare Rudy.

Selon une étude menée en 2001, plus de 60 pour cent des enfants de 5 à 17 ans qui travaillent sont employés dans des fermes. Quelque 5 millions de familles dépendent des contrats de travail saisonniers dans les plantations de canne à sucre qui éloignent de nombreux enfants des bancs de l’école.

Dans les Visayas occidentales, première région productrice de sucre du pays, 88,3 pour cent des familles dont les enfants travaillent gagnent moins de 10 000 pesos (200 dollars) par mois, c’est pourquoi chaque paire de bras supplémentaire est utile pour améliorer les revenus de la famille.

Travaillant de longues heures sous un soleil brûlant, les enfants risquent de se blesser avec une «spading», appellation locale de la lourde machette utilisée pour couper la canne à sucre. Ils sont également exposés aux produits chimiques et aux fertilisants qu’ils manipulent à mains nues.

En 2006, le Programme international du BIT pour l’élimination du travail des enfants (IPEC) a noué un partenariat avec la Fondation de l’industrie sucrière (SIFI) pour s’attaquer au travail des enfants dans les Visayas occidentales. La SIFI est une fondation philippine qui réunit planteurs de canne et représentants des fermiers pour répondre aux préoccupations des travailleurs du sucre.

Le programme IPEC-SIFI, a permis aux enfants qui travaillent dans les plantations de bénéficier de formations professionnelles et de bourses d’études, et à la centaine de membres de leur famille qui travaillent aussi sur ces exploitations de sucre de canne de participer à des séminaires pour développer leurs compétences commerciales.

Rudy a rejoint 80 autres jeunes qui suivaient une formation. Après une période de 75 jours de formation sur le tas, dans une entreprise qui loue de l’équipement lourd pour le secteur du bâtiment, Rudy a été embauché par l’entreprise comme assistant mécanicien. Comme Rudy n’a pas encore 18 ans, ses conditions de travail, comme ses activités, sont surveillées, afin de s’assurer qu’il n’effectue pas de tâche dangereuse au sens des normes de l’OIT relatives au travail des enfants.

L’agriculture: l’un des secteurs d’activité les plus dangereux au monde

L’agriculture est un secteur où de nombreux enfants sont effectivement privés d’éducation, ce qui obère leurs chances futures d’échapper au cycle de la pauvreté en trouvant de meilleurs emplois ou en travaillant à leur compte.

«Le secteur rural se caractérise souvent par un manque d’écoles ou par des écoles de qualité variable, par des difficultés à conserver les instituteurs dans des régions rurales isolées, un déficit d’accès à l’école pour les enfants, des taux d’assiduité scolaire médiocres ou inégaux, des exigences moins élevées de performance et de réussite scolaire. Les enfants sont aussi parfois contraints de parcourir de longues distances à pied pour aller et revenir de l’école. Même lorsque les enfants sont scolarisés, les vacances scolaires sont souvent organisées en fonction des semailles et des moissons», explique Michele Jankanish, Directrice de l’IPEC.

L’agriculture est, avec le bâtiment et les mines, l’un des trois secteurs d’activité les plus dangereux quel que soit l’âge du travailleur. Que les enfants travaillent dans la ferme de leurs parents, soient engagés dans les fermes ou les plantations de tiers ou accompagnent leurs parents comme travailleurs agricoles migrants, les dangers et niveaux de risques auxquels ils sont exposés sont pires que pour les travailleurs adultes.

«Parce que leur corps et leur esprit sont encore en plein développement et en pleine croissance, l’exposition aux dangers sur leur lieu de travail peut être plus dévastatrice et pérenne pour eux, engendrant des infirmités à vie. Il est dès lors facile de franchir la limite entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Ce problème ne se cantonne pas aux pays en développement, il existe aussi dans les pays industrialisés», ajoute Mme Jankanish.

Elle souligne néanmoins que toutes les activités entreprises par les enfants dans le secteur agricole ne sont pas forcément nocives pour eux et ne peuvent être qualifiées de travail à éradiquer au sens de la convention n° 138 sur l’âge minimum et de la convention n° 182 sur les pires formes de travail des enfants.

«Les tâches qui sont adaptées à l’âge de l’enfant, qui sont sans danger et qui n’interfèrent ni avec sa scolarité ni avec ses loisirs ne sont pas en cause. En effet, de nombreuses expériences professionnelles peuvent receler une dimension positive pour les enfants, en leur offrant des compétences pratiques et sociales utiles pour leur futur travail d’adultes», précise-t-elle.

D’autre part, les enfants qui travaillent représentent une source intarissable de main-d’œuvre bon marché, souvent à un âge très précoce. La plupart des études statistiques ne couvrent que les enfants âgés de 10 ans ou plus, alors que la proportion d’enfants de moins de 10 ans est estimée à 20 pour cent du travail des enfants en zones rurales.

De meilleures perspectives de retour à l’école

Tous les enfants n’ont pas la chance qu’ont eue les jeunes frère et sœur de Rudy. Aujourd’hui, Rudy ne craint plus que ses deux cadets ne doivent quitter l’école pour les champs de canne à sucre.

«Je suis heureux d’apporter de l’argent à mes parents pour qu’ils envoient mes jeunes frère et sœur à l’école», dit-il. Pour l’OIT, l’agriculture demeure un secteur prioritaire pour l’éradication du travail des enfants.

«Pour que le développement rural et agricole soit viable, il ne peut continuer à se construire sur l’exploitation des enfants au travail. Si l’on ne met pas en œuvre un effort concerté pour réduire le travail agricole des enfants, il sera impossible d’atteindre l’objectif de l’OIT d’élimination des pires formes de travail des enfants d’ici à 2016», conclut Mme Jankanish.