Offrir un traitement équitable aux 86 millions de travailleurs migrants dans le monde

Dans le monde entier, des millions de personnes émigrent pour chercher du travail, qu'il s'agisse d'un travail manuel dans l'agriculture ou d'un poste hautement qualifié de programmateur informatique. Au total, si l'on ajoute leurs familles, elles formeraient le cinquième pays le plus peuplé de la planète. Et leur nombre a tendance à augmenter selon le BIT. Le Conseil d'administration du BIT a récemment autorisé le Directeur général à publier le Cadre multilatéral sur les migrations de main-d'œuvre qui est partie intégrante du Plan d'action pour les travailleurs migrants adopté par les mandants de l'OIT lors de la Conférence internationale du Travail de 2004. En outre, un Manuel OSCE-OIM-OIT qui vise une meilleure gestion des flux de travailleurs migrants dans les pays d'origine et de destination a été lancé aujourd'hui au 14e Forum économique de l'OSCE à Prague. BIT en ligne s'est entretenu avec Ibrahim Awad, Directeur du Programme des migrations internationales de l'OIT.

Article | 23 mai 2006

BIT en ligne: Comment le nouveau Manuel OSCE-OIM-OIT peut-il aider les pays à faire face aux flux migratoires de main-d'oeuvre?

Ibrahim Awad: Le Manuel met en lumière des politiques et des pratiques efficaces en matière de migrations de main-d'oeuvre en se référant aux expériences des Etats membres de l'OSCE et de l'OIT. Il aborde les questions de politique relative aux migrations de main-d'oeuvre, y compris la protection des travailleurs migrants, les avantages d'une migration organisée, l'administration efficace des migrations de main-d'oeuvre, les politiques d'admission des travailleurs étrangers, les politiques post-admissions, les migrations irrégulières de main-d'oeuvre et la coopération entre les Etats.

Le principal objectif du Manuel est d'assister les Etats, en particulier ceux de la zone OSCE, dans leurs efforts pour développer des solutions et des approches politiques pour une meilleure gestion des migrations de main-d'oeuvre et des flux migratoires, à la fois dans les pays d'origine et dans les pays d'accueil. Il a d'abord été préparé à l'usage des décideurs et des praticiens des migrations de main-d'oeuvre dans la zone OSCE et dans les pays où l'OIM et l'OIT sont actives.

BIT en ligne: Pourquoi l'OIT a-t-elle récemment adopté un Plan d'action pour les travailleurs migrants?

Ibrahim Awad: La question migratoire est l'une des plus controversées dans le monde d'aujourd'hui. Ce Plan d'action protège les droits des travailleurs dans un secteur très sensible. C'est une réalisation majeure qui va servir de pierre angulaire pour l'avenir. Le Plan d'action représente un consensus historique parmi nos partenaires tripartites dans le monde entier. Jamais auparavant autant de pays ne s'étaient rassemblés pour se mettre d'accord sur la manière de traiter ces questions. Pourquoi est-ce si important? Parce qu'aujourd'hui il n'y a jamais eu autant de travailleurs migrants. Leur contribution est vitale pour stabiliser les marchés du travail, créer des emplois et accomplir des progrès économiques, au Nord comme au Sud. Cependant, comme l'a mis en lumière la Conférence internationale du Travail, de nombreux migrants sont confrontés à l'exploitation et aux abus que sont les salaires dérisoires le manque de protection sociale, le déni de leurs droits en tant que travailleurs et la discrimination. D'autre part, les migrants envoient d'importantes sommes d'argent - estimées l'an dernier à 160 milliards de dollars à travers les mécanismes officiels et à 250 milliards si l'on inclut les modes informels - vers leur pays d'origine. Cet argent est utilisé pour améliorer les conditions de vie, lutter contre la pauvreté, nourrir les familles et permettre éducation et scolarisation. Tout cela contribue à développer le capital humain, vital pour le développement local. C'est pourquoi nous devons être présents pour nous assurer que ces migrants sont traités équitablement.

BIT en ligne: Qu'est-ce que le Cadre multilatéral sur les migrations de main-d'oeuvre?

Ibrahim Awad: Le Cadre multilatéral a été proposé par les membres de l'OIT à la Conférence internationale du Travail de 2004. C'est une compilation unique de principes et de bonnes pratiques qui a pour vocation de servir de boîte à outils pour aider les membres à développer et améliorer les politiques en matière de migrations de main-d'oeuvre. Sa raison d'être est d'aider les gouvernements et les partenaires sociaux à déployer une gestion efficace des migrations et une protection des travailleurs migrants ainsi qu'à mettre en valeur la contribution du travail des immigrés au développement. Le Cadre a été adopté en novembre dernier par une Réunion tripartite d'experts qui s'est tenue à Genève. Il contient 15 principes qui ont trait notamment au travail décent, aux modes de coopération internationale, à la protection des immigrés, à la gestion des migrations de main-d'oeuvre, à l'intégration et l'insertion sociales, et à la migration de main-d'oeuvre et développement.

BIT en ligne: Comment ces principes vont-ils être mis en pratique?

Ibrahim Awad: Pour chaque principe, des directives ont été élaborées pour faciliter leur mise en oeuvre. Ces directives sont basées sur les bonnes pratiques des gouvernements, des employeurs et des syndicats dans le monde entier. De nombreux pays demandent aujourd'hui conseil à l'OIT pour améliorer et mettre à jour leur réglementation sur ces questions de plus en plus complexes. Il a été demandé à l'OIT d'étendre ses services de conseil et de coopération technique pour aider les Etats et les partenaires sociaux à appliquer ces principes.

BIT en ligne: Que l'OIT peut-elle faire d'autre pour offrir un traitement équitable aux travailleurs migrants?

Ibrahim Awad: La gestion efficace des migrations de main-d'oeuvre doit intégrer un certain nombre d'éléments clés. En premier lieu, la politique migratoire doit être cohérente avec les contextes et les réalités du marché du travail. Ces politiques doivent s'appuyer sur des normes internationales communes pour garantir coopération et responsabilisation. Une plus large ratification des conventions de l'OIT sur les migrations de main-d'oeuvre et de la convention des Nations Unies sur les travailleurs migrants est essentielle, y compris pour une meilleure coopération entre pays d'origine et pays d'accueil.

La politique d'immigration doit aussi rencontrer un large soutien populaire, que l'on obtient plus efficacement grâce à un dialogue social poussé entre gouvernements, employeurs et travailleurs. Il est nécessaire de prendre des mesures pour réguler l'embauche et prévenir le trafic, tout en promouvant le travail décent et en garantissant aux migrants qu'ils seront couverts par une législation nationale du travail et un système de sécurité sociale. Des politiques doivent également être adoptées pour faciliter l'intégration des travailleurs immigrés et combattre les discriminations. L'OIT a convoqué des réunions d'experts et demandé aux Etats membres de faire connaître leurs meilleures pratiques afin de les intégrer aux directives qui seront diffusées grâce aux activités de coopération technique de l'OIT, en particulier celles destinées à mettre en valeur les capacités des nouveaux pays d'émigration.

BIT en ligne: Que peuvent faire les pays d'origine pour réduire la pression migratoire?

Ibrahim Awad: Comme le dit le Directeur général du BIT, si vous considérez la mondialisation du point de vue des peuples, sa plus grosse faille est son incapacité à créer des emplois là où vivent les gens. Quant à la réduction de la pression migratoire et à la protection de leurs ressortissants qui cherchent du travail à l'étranger, les pays d'origine ont aussi un rôle important à jouer. D'une part, ils peuvent améliorer les perspectives d'emploi dans leur propre pays en donnant priorité à la promotion de l'emploi et du travail décent dans leurs stratégies de développement. D'autre part, ils peuvent superviser le recrutement, faciliter les transferts de fonds, promouvoir l'investissement productif de l'épargne des migrants, encourager les retours et le transfert de compétences.

Les gouvernements des pays concernés ont cherché à coopérer pour gérer les flux migratoires à travers des accords bilatéraux avec les pays de destination. Des syndicats ont aussi pris des initiatives, défendant et organisant cette catégorie de travailleurs particulièrement vulnérables.

BIT en ligne: Quel est le principal défi pour les politiques migratoires aujourd'hui?

Ibrahim Awad: Le plus grand défi est d'assurer l'accès aux voies de migration régulières et légales, en prévenant ainsi les abus, l'exploitation et le trafic de migrants. En outre, les pays qui ont adopté des politiques de prévention des discriminations et favorisant l'intégration des travailleurs migrants réussissent beaucoup mieux à obtenir une participation pleine et productive sur le marché du travail. Pour protéger les droits des travailleurs migrants et maximiser les effets positifs de l'immigration, la solution n'est pas de renforcer la répression mais de mener de meilleures politiques.


Note 1 - Manuel pour l'établissement de politiques de migrations de main-d'oeuvre efficaces dans les pays d'origine et de destination. Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE); Organisation internationale des migrations (OIM), Bureau international du Travail (BIT), Vienne/Genève, 2006.