Dialogue social

Plus de droits pour les travailleurs du textile en Jordanie

Les travailleurs des zones industrielles qualifiées de Jordanie ont fait grève à de nombreuses reprises au cours des dernières années pour protester contre ce qu’ils considèrent comme des violations des droits au travail. Un nouvel accord de négociation collective qui vise à améliorer la situation.

Reportage | 1 novembre 2013
Nour Jihan, de Bangladesh
SAHAB, Jordanie (OIT Info) – Nour Jihan, une jeune Bangladaise de vingt-quatre ans, est partie pour la Jordanie il y a un an en vue de travailler dans une usine de confection dans la ville industrielle de Sahab. Son employeur lui fournit le gîte et le couvert, ce qui lui permet d’envoyer environ 150 dollars à sa famille restée au pays.

«J’ai travaillé dans plusieurs pays mais l’an dernier j’ai entendu que beaucoup de femmes de mon pays partaient travailler en Jordanie et j’ai décidé d’en faire autant», a-t-elle dit, ajoutant qu’elle avait commencé à chercher à s’expatrier après la mort de son père. «Je devais aider ma mère à prendre soin de mes sept frères et sœurs.»

Jihan est l’une des quelque 40 000 travailleuses, venues essentiellement du sud-est asiatique, employées dans le secteur textile jordanien dont les exportations ont atteint l’an dernier un chiffre d’affaires record de 1,2 milliard de dollars.

Mais tandis que les affaires connaissaient un véritable essor dans les zones industrielles qualifiées (ZIQ) de Jordanie, les relations entre employés et chefs d’entreprise se sont détériorées. Les ZIQ sont des régions spéciales qui fabriquent des marchandises destinées à l’export vers les marchés étrangers. Le pays en compte quatorze.

Ces dernières années, les travailleurs des ZIQ se sont mis en grève à plusieurs reprises pour protester contre ce qu’ils considèrent comme des violations de leurs droits au travail, contre les faibles salaires et les piètres conditions de vie et de travail.

En réponse, un accord de négociation collective a été signé en mai de cette année entre deux associations d’employeurs du textile et le syndicat des travailleurs des entreprises textiles de Jordanie. L’accord a été largement perçu comme une avancée sans précédent dans l’amélioration du dialogue social et des relations professionnelles au sein du secteur.

Négociation collective dans l'industrie du textile en Jordanie
 


L’accord entre l’Association jordanienne des exportateurs de vêtements, accessoires et textiles, l’Association des propriétaires d’usines et d’ateliers textiles et le Syndicat général des travailleurs des industries du textile et de l’habillement a été facilité par Better Work Jordanie (BWJ) et l’Organisation internationale du Travail (OIT).

Cette convention a pour but de donner à des travailleurs comme Jihan une meilleure représentation et d’améliorer leurs conditions de vie et de travail. Même si la majorité des employés du secteur de la confection sont des migrants, l’accord couvre aussi les milliers de Jordaniens et de Jordaniennes qui travaillent à leurs côtés. Il devrait aussi contribuer à attirer davantage de jeunes Jordaniens vers ce secteur.

Cet accord obtenu de haute lutte s’efforce aussi d’accroître la productivité et d’assurer que les intérêts des travailleurs comme des employeurs sont préservés.

«Nous ne sommes pas parvenus facilement à un accord. C’est le résultat d’années de travail et de négociation entre travailleurs, employeurs et gouvernement pour garantir que toutes les parties soient satisfaites», a déclaré Farhan Afram, le Vice-président de l’Association jordanienne des exportateurs de vêtements, accessoires et textiles.

Un meilleur environnement de travail


La convention définit ce à quoi ont droit les travailleurs en termes de salaires, prestations, durée du travail, problèmes de santé et sécurité au travail, aussi bien dans les usines que dans leurs logements. Elle promeut l’égalité de traitement pour tous les travailleurs et vise à forger un environnement de travail plus positif pour leur moral et leur productivité.

Si certaines de ces dispositions étaient déjà établies pour le secteur, d’autres n’ont été introduites que récemment, telles que le droit de créer des syndicats dans les usines; une prime annuelle d’ancienneté pour tous les travailleurs quelle que soit leur nationalité; des mécanismes de règlement des conflits liés aux contrats de travail; et la création d’un contrat unique pour tous les travailleurs. L’OIT a apporté son aide sur cette dernière question en préparant un modèle de contrat unifié pour les travailleurs migrants qui réponde aux normes de l’OIT.

nous avons commencé à chercher les moyens d’améliorer le dialogue social au niveau sectoriel, en travaillant avec les deux parties."

Le programme Better Work Jordanie – une initiative conjointe de l’OIT et de la Société financière internationale – a formé à la fois les syndicalistes et les employeurs du textile de 19 entreprises pour les préparer à la négociation collective.

«L’une des dimensions de notre travail, c’est qu’une fois que nous avons identifié les problèmes dans chaque usine nous encourageons la création d’un comité associant direction et personnel pour mettre en place un plan d’amélioration», a expliqué le Directeur du programme BWJ, Philip Fishman.

«Maintenant qu’existe un mouvement puissant en faveur du dialogue social au niveau des usines, nous avons commencé à chercher les moyens d’améliorer le dialogue social au niveau sectoriel, en travaillant avec les deux parties.»

Comprendre la négociation collective


BWJ a réuni des experts de l’OIT pour collaborer avec les syndicats et les employeurs, s’efforçant de les aider à comprendre ce qu’implique un processus de négociation collective, comment ils peuvent représenter efficacement leurs intérêts et comment on peut aboutir à une situation profitable pour tous.

«Cela fut utile non seulement pour réduire la résistance à la possibilité d’un accord sectoriel, mais aussi pour leur donner les connaissances requises et créer une atmosphère qui soit bénéfique pour les deux parties», a ajouté M. Fishman.

Les experts de l’OIT ont aussi révisé la terminologie des contrats pour s’assurer qu’elle était compatible avec les normes fondamentales du travail.
L’un des aspects déterminants de la convention collective, c’est qu’elle donne au syndicat le droit d’accéder aux usines textiles.

«L’importance de cet accord réside dans le fait qu’il permet aux syndicats d’avoir accès aux travailleurs à l’intérieur de l’usine et de représenter tous les travailleurs de manière appropriée et satisfaisante. Ce qui n’était pas le cas auparavant», a déclaré Mervat Abed Al Kareem Al Jamhawi, du Syndicat général des travailleurs du textile, de la confection et de l’habillement.

Comme cet accord est juridiquement contraignant, tout le monde doit s’y conformer."
«Il nous autorise à entrer dans les usines, à parler aux employés, à former des comités, à conduire des élections, à fournir aux travailleurs des affiches et des brochures qui leur expliquent leurs droits et leurs responsabilités, en matière de législation du travail, de sécurité sociale, et à gérer leurs revendications», a-t-il expliqué, ajoutant que ces mécanismes aideraient à réduire la fréquence des conflits sociaux tels que les grèves.

Tandis que M. Al Jamhawi a déclaré que certaines usines semblaient plus réticentes que d’autres à mettre en œuvre leur part de l’accord, plusieurs domaines relatifs aux salaires et aux normes de logement sont à l’étude.

«Comme cet accord est juridiquement contraignant, tout le monde doit s’y conformer. Mais nous avons encore besoin de l’aide de Better Work Jordanie, du ministère du Travail et des associations d’employeurs pour garantir que les usines respectent l’accord, notamment par le biais d’inspections du travail.»

M. Afram, de l’Association jordanienne des exportateurs de vêtements, accessoires et textiles, est confiant et pense que davantage d’employeurs vont soutenir la convention une fois qu’ils auront réalisé quels bénéfices elle peut apporter au secteur à long terme.

«La convention collective est bonne pour le secteur textile parce qu’elle va l’aider à maintenir ses effectifs. Une main-d’œuvre stable permet aux usines de se développer pour satisfaire de nouvelles demandes du marché américain, d’accroître leur volume de production et de planifier un avenir plus ambitieux», explique-t-il.

M. Fishman du programme BWJ a déclaré que l’OIT continuerait d’apporter son soutien et sa formation aux deux parties sur les moyens d’instituer et améliorer des mécanismes pour faire appliquer l’accord.

«Pour le moment, la convention n’existe que sur le papier, a-t-il conclu. La prochaine étape consiste à la traduire dans les faits et à collaborer pour qu’elle fonctionne.»