RDC - Le dialogue social est une priorité

Entrevue avec Roger Nkambu Mavinga, Chef du projet de Soutien aux Progrès des Normes du Travail (SPNT) en République Démocratique du Congo, qui partage une analyse personnelle sur le dialogue social.

Article | 30 décembre 2022
Ayant rejoint l’OIT en 1989, Roger Nkambu Mavinga a eu l’opportunité d’être un témoin privilégié de l’évolution du Travail Décent en Afrique centrale, et notamment en République Démocratique du Congo.

« Tout au long de ma carrière, j’ai assumé des responsabilités à différents niveaux : responsable de la communication et de l’information, chargé de partenariat, assistant puis administrateur principal au programme, ou encore conseiller technique principal, poste que j’occupe depuis le 1er février 2022. Cette expérience transversale m’a permis de comprendre la capacité de notre organisation à mettre en application son mandat dans n’importe quel contexte. En impliquant les gouvernements mais également les organisations d’employeurs et de travailleurs, et en optant pour une approche de gestion axée sur les résultats (GAR), l’OIT contribue à faire évoluer positivement de nombreuses questions liées au Travail Décent, notamment celles liées aux normes du travail et au dialogue social, qui me tiennent particulièrement à coeur. »

Roger Nkambu Mavinga lors de l'atelier SPNT du 20 octobre 2022

En RDC, le dialogue social s’organise autour d’un échange d’informations, de consultations et de négociations

Après la dissolution du Cadre Permanent pour le Dialogue Social (CPDS) en 2021, le dialogue social puise désormais ses ressources dans des mécanismes prévus par le Code du Travail.

L’échange d’informations

Selon l’article 263 du Code du Travail, un employeur et la délégation des travailleurs doivent tenir des réunions trimestrielles et semestrielles.

« Alors que les réunions trimestrielles permettent d’échanger autour de questions posées aussi bien par l’employeur que par les travailleurs, la réunion semestrielle se concentre exclusivement sur la situation économique de l’entreprise, et informe notamment les travailleurs sur le chiffre d'affaires, l'indice général de la productivité, le bénéfice global, l'évolution du niveau des prix de vente, ou encore les perspectives d’avenir de l’entreprise. »

Les délégués des organisations professionnelles d’employeurs et de travailleurs, ainsi que l’inspection du travail, peuvent assister à titre consultatif à toutes ces réunions d’information. Le procès-verbal de chaque réunion est signé par tous les délégués, et partagé avec l'inspection du travail.

Les consultations

Dirigé par le Ministre du Travail, le Conseil National du Travail (CNT) est un comité consultatif qui comprend un nombre égal de représentants de l’État (les délégués de 12 Ministères), de travailleurs (12 syndicats) et d’employeurs (FEC, ANEP, COPEMECO, FENAPEC…).

La mission du CNT consiste à étudier toutes les questions liées au travail, notamment en matière de salaire minimum interprofessionnel et ses incidences économiques par exemple. En dehors des cas pour lesquels son avis est requis en vertu de dispositions légales particulières, le Conseil National du Travail se prononce sur tous les projets de lois, décrets-lois, décrets et arrêtés ministériels dès lors qu’ils touchent aux droits et aux devoirs des travailleurs et des employeurs.

« Les avis du Conseil National du Travail sont destinés à éclairer les pouvoirs publics et le législateur sur la position des organisations professionnelles à l’égard des problèmes fondamentaux de la politique sociale : ils reflètent la véritable manifestation du dialogue social pour un climat apaisé. »

La négociation

En théorie, la négociation collective s’organise autour de discussions portant sur les conditions de travail proposées par un employeur, un groupe d’employeurs ou une voire plusieurs organisations d’employeurs, en vue de parvenir à un accord avec une ou plusieurs organisations de travailleurs.

« En pratique, les négociations peuvent être sectorielles, professionnelles ou interprofessionnelles et leur portée est assez vaste. Les résultats qui en découlent dépendent de la prédisposition des partenaires à dialoguer efficacement et, dans ce contexte, la question de la représentativité syndicale se pose. »

L’impact néfaste de la prolifération syndicale dans le dialogue social

Encourager la démocratie syndicale

« Si le pluralisme syndical est un droit, il doit, en RDC, être mieux encadré afin d’encourager une véritable démocratie syndicale. En effet, l’objectif de la Convention n°87 de l’OIT n’a jamais été la prolifération et la fragmentation des syndicats, mais plutôt de protéger l’indépendance des syndicats et de sauvegarder le libre choix des travailleurs de créer les syndicats de leur choix et de s’y affilier.

À l’heure actuelle, le Ministère du Travail évoque l’existence de plusieurs centaines syndicats. Sans nul doute, cette prolifération syndicale excessive n’est pas galvanisée par les vrais principes de la liberté syndicale et du pluralisme. Elle est davantage imputable à des facteurs politiques, tribaux, culturels ou économiques dénaturés, ou encore à l’ambition égoïste de certains dirigeants syndicaux.

De plus, certains syndicats sont financés et hébergés par l’État ou des chefs d’entreprises, ce qui limite leur indépendance. C’est le cas de la plupart des syndicats d’entreprises et des syndicats dits « jaunes ». Des dirigeants syndicaux sont même nommés à des fonctions politiques incompatibles avec leur mandat syndical. C’est un non-sens absolu."

S’inspirer de ce qui fonctionne ailleurs

Nombreux sont les pays qui ont été confrontés aux mêmes problématiques que rencontre aujourd’hui la RDC en termes de représentativité syndicale. Après des phases expérimentales, plusieurs modèles émergent et offre un espoir non négligeable.

« S’il est essentiel que la RDC intègre des critères qualitatifs dans le processus de création de syndicats, notamment l’expérience et l’indépendance de ses décideurs, le pays peut également s’inspirer de leviers techniques qui ont fait leur preuve, comme au Cameroun par exemple, avec le vote électronique, qui permet notamment aux travailleurs hospitalisés de participer aux élections. »

Les procédures conventionnelles ou légales n’étant pas appliquées, le dialogue social est une priorité."

Roger Nkambu Mavinga, Chef du projet de Soutien aux Progrès des Normes du Travail (SPNT) en République Démocratique du Congo

En cas d’échec du dialogue social, des procédures qui peinent à être appliquées

Conflits individuels et conflits collectifs

« Nous distinguons deux types de conflits du travail en RDC : les litiges individuels opposants un travailleur et un employeur, et conflits collectifs opposants plusieurs travailleurs à un ou plusieurs employeurs. »

Et ces deux cas de figure obéissent à des règles procédurales bien distinctes.

« Les litiges individuels passent obligatoirement par une tentative de conciliation orchestrée par un inspecteur du travail, avant de pouvoir déclencher la saisine du tribunal du travail. Quant aux conflits collectifs du travail, à défaut de procédure conventionnelle, ils passent également tout d’abord par la conciliation, toujours orchestrée par un inspecteur du travail, puis par une phase de médiation. En cas d’échec de ces deux premières étapes, les travailleurs peuvent déclencher une grève, en respectant un préavis de six jours ouvrables. La grève prend fin dès lors que le tribunal du travail se saisit de l’affaire, soit à la demande de l’une des parties, soit après l’intervention de l’inspection du travail. »

Des doléances négligées par manque d’application des procédures

Bien que la question de la rémunération demeure la première préoccupation des travailleurs, ce n’est pas la seule. En effet, les litiges individuels portés devant les tribunaux du travail sont liés, à plus de 80%, à la rupture d’un contrat de travail.

« Dans ces cas de figure, les doléances des travailleurs se déclinent sous plusieurs formes : demandes de dommages-intérêts pour licenciement abusif, pour non paiement ou mauvais calcul du décompte final, pour non délivrance de certificat de fin de service ou encore pour défaut de versement des cotisations sociales à la CNSS par l’employeur. »

Quant aux conflits collectifs du travail, ils portent généralement « sur l’amélioration des conditions de travail, l’irrégularité du paiement des salaires et le non respect d’avantages sociaux. »

Cependant, alors qu’une dégradation des conditions de travail est observée dans tous les secteurs d’activité, les procédures conventionnelles ou légales ne sont malheureusement pas appliquées, et jusqu’à ce jour, aucun conflit collectif du travail n’a fait l’objet d’une saisine du tribunal du travail.

Dans ce contexte, soucieuse de l’amélioration des conditions de travail et d'un climat social apaisé, la Fédération des Entreprises Congolaises (FEC) encourage le dialogue social sous toutes ses formes.

Repenser l’inspection du travail et renforcer les compétences des inspecteurs

Si le dialogue social est la clé de voûte du règlement des conflits du travail en RDC, l’inspection du travail représente également un enjeu de taille afin de faire respecter les normes.

« Bien que disposant de tous les moyens et instruments juridiques nécessaires, l’inspection du travail de la RDC est confrontée à d’énormes défis. Caractérisée par l’absence de planification et de programme de formation des inspecteurs du travail, elle ne répond pas aujourd’hui efficacement à sa mission principale qui est d’assurer l’application effective des normes du travail. »

À titre d’exemple, la Convention n°81 de l’OIT sur l’inspection du travail, pourtant ratifiée depuis le 19 avril 1968, n’est pas encore intégrée dans le dispositif national, du moins dans certaines de ses dispositions.

Comité consultatif du projet SPNT en République Démocratique du Congo, 4 août 2022
C’est face à ce constat général que le projet de Soutien aux Progrès des Normes du Travail (SPNT), soutenu par le Département américain du Travail (USDOL) doit venir apporter sa pierre à l’édifice, avec l'objectif d’apporter un appui technique au Gouvernement de la RDC et aux partenaires sociaux pour progresser sur les questions du respect des normes du travail.

Et si le temps presse, Roger Nkambu Mavinga se veut rassurant : « Sauf imprévu, à partir du moment où tous les intervenants sont sensibilisés au respect de l’échéancier des actions projetées, et que le Gouvernement matérialise sa volonté de jouer sincèrement sa partition, nous croyons que le délai de 40 mois offert au projet sera suffisant pour mettre en œuvre ses objectifs. »

Et de conclure cette entrevue par un conseil : « Un travailleur qui souhaite obtenir des informations sur ses droits ne doit pas hésiter à se tourner vers son employeur, par le biais du responsable des ressources humaines de l’entreprise, du délégué syndical, du représentant du personnel ou encore de l’inspecteur du travail. En tant qu’un des quatre piliers du travail décent, le dialogue social est recommandé pour améliorer les conditions du travail mais aussi le climat social dans l’entreprise, afin de lui permettre de poursuivre sereinement ses objectifs. »